L’internationale islamiste : Raïssouni se prépare à l’après Al Qaradawi

Publié le par Karim El Maghribi

En haut à droite,  Youssef Al Qaradawi

 

La destitution du président égyptien Mohamed Morsi, le 3 juillet 2013, par son armée sonna le glas de la confrérie musulmane et marqua le début d’une transition qui est toujours en cours. Mais l’un des faits saillantes de ce renversement du « premier président égyptien civil et élu » de l’histoire du pays des Pharaons est le revirement à 360 degrés qui s’est opéré en Arabie saoudite qui, on en doutait fort, a sponsorisé la chute de Morsi sinon l’a bénie. La déferlante des révolutions dites du « Printemps arabe » qui est née en décembre 2010 en Tunisie pour gagner successivement l’Egypte, la Syrie et la Libye avec quelques agitations sociales en Algérie et le Maroc, a fini par profiter au clan pragmatique à la cour wahhabite. Ce clan a sauté sur ces événements pour s’imposer face au camp radical qui prône l’application pure et dure de la charia. Le vacillement du trône au Bahreïn, suite à une révolte de la population majoritairement chiite contre les autorités sunnites et que tuera dans l’œuf l’envoi de chars par l’Arabie saoudite dans ce petit royaume, en mars 2011, a été l’argument décisif qui clouera le bec définitivement aux faucons de la cour saoudienne. Deux conséquences directes et lourdes de signification à cette nouvelle situation dans la scène arabe : d’un côté, les Frères musulmans et leur rêve d’établir un califat moderne cessent brusquement d’être à l’ordre du jour à Riyad et dans les pays de la mouvance saoudienne, et de l’autre, l’émir du Qatar le Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani abdique le 25 juin 2013 en faveur de son fils Tamim, né de sa seconde épouse, Cheikha Mouzah , une roturière dont le père était un farouche opposant au grand-père du nouvel émir Tamim. Au Maroc l’évènement majeur à lier à ces nouveautés moyen-orientales même si les médias ne lui ont pas donné toute l’importance qu’il méritait, est l’élection du théologien Ahmed Raïssouni, le samedi 7 décembre 2013, au poste clé de vice-président de l’Union internationale des oulémas musulmans, une puissante corporation créée en 2004 par le mufti égyptien très controversé, le Cheikh Youssef Al Qaradawi, l’un des habitués et favoris de la cour de Doha.

Trois priorités : affaiblir les frères musulmans

où qu’ils soient, freiner la démocratisation

dans les pays du Printemps arabe et couper l’herbe

sous les pieds de l’influence iranienne, l’unique danger extérieur

qui menace le royaume saoudien

La corporation (الاتحاد العالمي لعلماء المسلمين) regroupe plus de 2 000 savants et militants en islam actif. Et le fauteuil de la vice-présidence, dévolu à Raïssouni, est éminemment fondamental ; dans ce sens qu’il est la seule porte ouverte à la succession du vieux Al Qaradawi, âgé de 88 ans et malade. Une succession « dans le capuchon de la djellaba » pour Raïssouni qui est fermement soutenu par Riyad. En effet, ce natif de Larache en 1953 qui obtint en 1978 une licence de la charia à l’université Al Qaraouiyine de Fès pour devenir plus tard, au début des années 1990, professeur de la charia au département des lettres de la faculté de Rabat, doit beaucoup à l’Arabie saoudite. En novembre 2005, le royaume wahhabite l’accueillera en effet après sa démission en juin 2003 de la présidence du Mouvement Unicité et Réforme (la matrice spirituelle du PJD), dans la foulée du grand débat qui avait suivi les attentats sanglants du 16 mai 2003 à Casablanca. Alors que plusieurs partis et intellectuels de gauche ont surfé sur ces attentats, qui ont fait 42 morts et une centaine de blessés, pour demander à l’Etat la dissolution du PJD, Raïssouni, lui, s’est distingué par des déclarations très controversées pour ne pas dire déplacées sur le statut de la commanderie des croyants, déclarations qui ont fini par énerver ses poulains du PJD. L’exil de Raïssouni en Arabie saoudite a été non seulement volontaire mais doré. L’homme n’est pas allé en terre péninsulaire arabique pour se cloitrer dans un couvent afin de demander à Allah d’effacer son « péché » mais bien pour prendre part à un groupement d’experts chargé par la cour saoudienne d’élaborer une Encyclopédie de la jurisprudence islamique éditée, à gros sous, par l’Académie islamique de Djeddah. En somme une bonne planque. Le long séjour de Raïssouni (désormais spécialisé en Al Maqassid Al fiqh ou Les Finalités du fiqh), en terre saoudienne sera aussi une occasion pour lui de se préparer à assumer, le momentum venu, d’autres tâches plus importantes, notamment la présidence de l’Internationale islamiste sunnite. Avec mission de refonder totalement cette corporation sur des bases nouvelles, en conformité avec la nouvelle situation du Monde arabe et surtout avec la nouvelle vision du pouvoir saoudien qui veut que le président de cette corporation soit désormais élu pas ses pairs et non plus désigné afin de prévenir toute aliénation future de ce dernier à un quelconque Etat. Mais dans les coulisses Riyad continuera à en tirer les ficelles… Le chemin est déjà presque balisé pour le futur président Raïssouni : l’émirat du Qatar qui soutenait cette congrégation du temps de l’émir Hamad Ben Khalifa Al Thani à condition qu’elle joue le rôle d’ébauche du futur « califat moderne », dont l’assise intellectuelle et politique est constituée par les adeptes et les cadres de confrérie musulmane, a changé d’avis. Le nouvel émir Tamim et son obligé Youssef Al Qaradawi- et par extension Raïssouni- voudraient toujours de ce projet califal mais plus comme un projet dirigé contre l’Arabie saoudite. Ce rêve cher à la confrérie se fera désormais avec et pour l’Arabie saoudite. Et aura trois priorités : affaiblir les frères musulmans où qu’ils soient, freiner la démocratisation dans les pays du Printemps arabe et couper l’herbe sous les pieds de l’influence iranienne, l’unique danger extérieur qui menace le royaume saoudien. Allah est grand !

 

L’internationale islamiste : Raïssouni se prépare à l’après Al Qaradawi

Publié dans Analyse

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article