Pénurie d’informaticiens en France : La chasse aux compétences maghrébines tourne au braconnage

Publié le par Abdelkarim Chankou

Pénurie d’informaticiens en France : La chasse aux compétences maghrébines tourne au braconnage
Face à la pénurie en ingénieurs informaticiens la France et la Belgique se tournent vers le Maroc et la Tunisie pour faire le plein de profils recherchés à un moment où ces pays qui les ont formés à coups de milliards en ont le plus besoin pour réussir leurs transitions numériques. Explications. « Développeurs, spécialistes de la cybersécurité ou de l’analyse des données récoltées sur Internet… Ces profils, trop rares, sont devenus les rois du marché du travail. » relève La Croix du 8 février 2018 qui titre « La France en panne d’informaticiens ». Mais il n’y pas que la pénurie des ingénieurs informaticiens et des systèmes qui menace les entreprises françaises du secteur. Deux autres facteurs s’ajoutent à la pression de plus en plus forte qui s’exerce sur ces entreprises : La gourmandise salariale des cadres locaux et la promesse électorale d’Emmanuel Macron de l’instauration d’un système Bonus-Malus sur les « CDD abusifs ». Un système rejeté en bloc par le patronat. En novembre 2018, « au tout début de la négociation sur l'assurance chômage, Geoffroy Roux de Bézieux , le patron du Medef, avait assuré qu'un tel système allait +détruire des CDD et des emplois intérimaires sans pour autant créer de CDI+. » Le dispositif Bonus-Malus macronien « consiste à moduler les cotisations chômage de l'employeur en fonction du taux de rupture de contrats de travail. L'idée est de faire varier la cotisation patronale à l'assurance chômage, actuellement de 4,05%, en fonction du taux de rupture de contrats donnant lieu à inscription à Pôle emploi, promesse présidentielle soutenue par les syndicats. » Résultat : les employeurs concernés se tournent vers les marchés émetteurs de cadres francophones à faibles salaires pour combler leurs trous. Le Maroc qui a lancé il y a plus de 10 ans un ambitieux programme de formation sur 5 ans de 10.000 ingénieurs est visé par la France et par la Belgique aussi. Pour les mêmes raisons, la Tunisie est également en ligne de mire. En plus du bas salaire, de la compétence, de la disponibilité et de la mobilité, l’embauche des cadres maghrébins offre un autre avantage et non des moindres : l’acceptation d’un CDD même de très courte durée. En effet « moins de la moitié des entreprises (45%) ayant recouru à une embauche en CDD évoquent la réglementation liée au CDI pour justifier le fait qu'elles n'ont pas recruté sous ce type de contrat. C'est surtout le fait que les besoins des entreprises sont limités dans le temps qui justifie le recours au CDD », selon une étude du ministère français du Travail. Un phénomène inquiétant qui va crescendo. Il faut savoir qu’ « en quinze ans, de 2003 à 2017, les contrats de moins de 31 jours par trimestre sont passés de 6 millions à près de 18 millions. La plupart sont souvent d'une durée inférieure à une semaine. Si, en volume, le CDI reste la norme du marché du travail - environ 85% des actifs ont un contrat à durée indéterminée - le flux des embauches témoigne d'un recours accru aux contrats de très courte durée. » écrit Tiphaine Thuillier dans l’Express L’Entreprise du 9 Janvier 2019. Pour justifier leur recours au CDD, les entreprises en question s’appuient sur un alinéa de l’article L1242-2 (Modifié par la Loi n°2015-990 du 6 août 2015 - art. 63) du code de Travail. Cet alinéa N°2 parle de la possibilité du recours au CDD en cas d’un « Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise. » Une éventualité assez extensible et élastique, que l’on peut tourner dans tous les sens. Pour chasser au Maroc et en Tunisie, les patrons demandeurs de profils rares sous-traitent à des courtiers tels que Sintegra consulting , un cabinet de recrutement crée par un Franco-tunisien. « Ils sont des dizaines de jeunes étudiants marocains en informatique de niveau Bac+5 ou Bac+3 à arriver à Paris pour des stages à 800 euros», révèle au Canard Libéré un militant associatif résidant à Paris. Et d’ajouter : « Nombre d’entre eux demandent à leurs parents au Maroc de leur envoyer de l’argent pour boucler leurs fins de mois. Certains finissent par trouver un job stable et bien rémunéré après avoir un peu bourlingué mais ce sont des cas rares. ». « Dans le cadre du Plan Formation Emploi (PFE), dispositif mis en place en France par la Formation professionnelle, les entreprises inscrites à ce programme offrent périodiquement par voie d’affichage public des opportunités de stages de pré-embauche avec possibilité de CDI à la fin du stage. Le candidat doit être un étudiant supposé obtenir son diplôme à la fin de l'année scolaire. »
SALE AFFAIRE
Pour ce qui est de la Belgique, note le Canard Libéré, la chasse se fait directement par l’Etat sans passer par des intermédiaires privés. Via l'office flamand de la formation et de l'emploi (VDAB). Selon les médias flamands, l’Anapec (l’équivalent marocain du Pôle Emploi français) « a été approchée pour sélectionner les profils demandés qui bénéficieront ensuite d'un contrat de travail d'un an en Belgique avant de se voir proposer un contrat stable. Le premier contingent de ces futurs migrants devrait se rendre en Belgique au milieu de l’année 2019. » Une hémorragie d’informaticiens qui signe l’échec du Plan Maroc digital 2020 lancé le gouvernement marocain et qui ambitionne de porter à l’horizon 2020 le nombre de professionnels du numérique formés chaque année au Maroc à 30.000 personnes. Echec car le Maroc ne parvient pas à retenir ses compétences dont la formation a coûté une fortune au contribuable. Mais parfois les choses prennent une tournure inédite pour ne pas dire très grave. Une boite internationale spécialisée dans la transformation digitale, active dans l’offshoring à Casablanca et qui de ce fait bénéficie des mesures incitatives dont l’Impôt sur le revenu plafonné à 20% et le remboursement par l’Etat des frais de formation, au lieu de contribuer au développement numérique du pays d’accueil, fait fuir à l’étranger la crème des informaticiens du pays contre d’alléchants avantages financiers ! Il s’agit d’Atos, géant international de transformation digitale, 100.000 collaborateurs dans le monde, qui s’intéresse ainsi aux compétences marocaines. La société avait annoncé sur Internet qu’elle recevait le 16 février dernier à Casablanca, les candidats qui pourraient être intéressés par des missions en France. Les contrats sont en CDI ! Oui je dis bien CDI. Mais « le hic, c'est qu'Atos est installée à Casablanca, dans une activité d'offshoring, et bénéficie de mesures incitatives de l'Etat marocain. » commente le site Médias24. Lequel e-journal casablancais ajoute que « L’annonce indique que 200 postes sont à pourvoir et qu’il s’agit +d’opportunités de longue durée+. Une réintégration au sein des équipes marocaines d’Atos est possible sur simple demande, ajoute le texte. » ! Le pire dans tout ça ? Aucune réaction de Moulay Hafid Elalamy « le serial businessman » qui fait office du ministre marocain du Commerce, de l’Industrie et de l’Economie numérique (impliqué personnellement dans le secteur des centres d’appels) sur cette sale affaire abondamment commentée dans les milieux marocains du Digital. Côté officiel, motus bouche cousue sauf la sortie de la représentante de l’un des secteurs qui est directement impacté par cette grande opération d’évasion digitale, en l’occurrence Mme Saloua Karkri-Belkziz présidente de la Fédération marocaine des technologies de l'information, des télécommunications et de l'offshoring ( Apebi ). Contactée par le site Médias24 , elle « trouve cette annonce scandaleuse de la part d’une entreprise qui a reçu pas mal d’incitations et développé ses activités au Maroc. L’objectif était de créer des emplois ici ». A moins d’une semaine du rendez-vous du 16 février, Atos fait marche arrière et annule son opération de recrutement. Dans un communiqué de presse, la société a expliqué son revirement par le fait que cette opération est « opposée à sa stratégie ». Abandon définitif ou recul pour mieux sauter ? Question à un clic.

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